Avec l’épidémie Covid19, les gestes barrières ont bénéficié d’un coup de projecteur sans précédent, entrant dans le langage commun alors qu’ils n’étaient, jusque-là, qu’une affaire d’experts. Si le terme, en tant que tel, n’a été composé qu’il y a une petite quinzaine d’années, une mesure en particulier, le lavage des mains, a acquis ses lettres de noblesse il y a déjà deux siècles. Petit voyage dans le temps.
L'évolution des comportements-barrière depuis l'Antiquité
Les comportements-barrière, c’est-à-dire toutes les actions individuelles et collectives susceptibles de ralentir la progression d’une épidémie, ont été pratiqués dès l’Antiquité.
Elles ont été reprises à plus grande échelle lors des vagues successives de peste noire à partir du milieu du XIVèmesiècle et étaient également considérées comme efficaces contre les virus par Érasme et ses contemporains.
Au XVIIIèmesiècle, le chirurgien lyonnais Claude Pouteau met en place une série de mesures, dont le lavage des mains, pour éviter que ses patients ne développent une gangrène. Mais malgré des résultats probants, ces pratiques disparaissent avec lui.
Un siècle plus tard, Ignace Semmelweis, un médecin obstétricien, découvre l’importance de se désinfecter les mains. Il s’était en effet rendu compte que, dans l’une des maternités de l’hôpital de Vienne où il exerçait, 3 % des femmes mouraient en couche, alors que dans l’autre le taux de décès était compris entre 10 et 40 %. C’est que dans la première, les accouchements étaient réalisés par des sages-femmes, et dans la seconde par des étudiants en médecine, qui disséquaient également des cadavres. Il décide alors de prôner le lavage des mains après chaque autopsie.
Nous étions en 1847. La mortalité est immédiatement réduite mais Semmelweis fait face à une fronde de la part des autres médecins, peu acquis à ses idées. Il est renvoyé et finit ses jours dans un hôpital psychiatrique.
Les débuts de la pensée hygiéniste
Les travaux de Semmelweis ont toutefois ouvert la voie à la pensée hygiéniste, notamment incarnée par Louis Pasteur.
À la fin du XIXème siècle, ses découvertes sur les microbes permettent de prouver scientifiquement le lien entre infection et hygiène. Il préconise la stérilisation, le nettoyage des instruments médicaux par le feu et la propreté des mains.
À partir de là, s’opère une vraie rupture dans les pratiques d’hygiène. En quelques décennies, le lavage des mains s’étend à tous, favorisé par l’émergence de l’eau courante dans les logements et par de grandes campagnes de santé publique.
Durant l’entre-deux guerres, et surtout à partir des années 1950, les cours d’hygiène se développent dans les écoles. Mais tout n’est pas pour autant tout rose. Malgré les consignes de lavage des mains des soignants, les hôpitaux font face à plusieurs cas d’épidémies transmises aux patients.
Au début des années 1990, le Professeur Didier Pittet, médecin épidémiologiste aux Hôpitaux Universitaires de Genève, en Suisse, a une intuition : et si l’hygiène des mains était beaucoup trop chronophage pour être pratiquée dans les règles de l’art ? Il a l’idée de remplacer l’eau et le savon par du gel élaboré à partir d’alcool, un puissant antiseptique. Sa rencontre avec le pharmacien William Griffiths est déterminante : le gel hydro-alcoolique naît en 1995. Il devient rapidement indispensable partout dans le monde, avec 5 à 8 millions de vie sauvées chaque année.
Au début des années 2000, sa formule est gratuitement mise à disposition de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) afin qu’elle soit accessible au plus grand nombre.
Trois cents ans après l’intuition de Claude Pouteau, près de deux cents après le combat de Semmelweis, l’hygiène des mains est restée, en 2020, l’une de nos principales armes pour ralentir la progression de l’épidémie du SARS-CoV-2.
Article de Joëlle Hayek – Article publié dans hospitalia.fr