« La profession infirmière, une vision pour les soins de demain » est le thème de la Journée internationale des infirmières en 2021. « Cette pandémie mondiale de Covid-19 a montré au monde le rôle important joué par les infirmiers-ières pour maintenir les populations en bonne santé tout au long de leur vie », a déclaré Annette Kennedy, Présidente du Conseil International des Infirmières.
Mais comment les soins se tournent-ils vers l’avenir ? Dans quelles mesures la profession participe-t-elle à la transformation de la prise en charge des patients ? Nous avons rencontré Marielle Baulet, responsable des soins de la Clinique des Grangettes et Jérôme Poulet, responsable des soins de la Clinique La Colline qui partagent leur vision sur l’évolution des soins de demain.
Comment les soins infirmiers se tournent-ils vers l’avenir ?
Marielle Baulet : Tout d’abord, par la formation des infirmier-ières qui est la clé de l’évolution des soins. Ces dernières années le cursus est devenu de plus en plus poussé : une formation académique, un niveau HES pour entrer dans la profession, des allongements de formations, des spécialisations, des laboratoires d’entrainement, des pratiques sur mannequins, avec des acteurs, dans des univers virtuels.
Malheureusement les stages pratiques sur le terrain sont de moins en moins fréquents. Le jugement clinique est une capacité indispensable dans la pratique infirmière, mais il s’acquiert et se développe avec l’expérience professionnelle au contact des patients. Le développement des connaissances à travers l’expérience de terrain est un élément aussi important que le savoir académique.
Les soins infirmiers se tournent vers l’avenir en étoffant le parcours des infirmier-ières de nouvelles compétences, de nouvelles tâches et responsabilités à la fonction.
On tend vers toujours plus de technologie et de spécialisation et paradoxalement on demande plus de polyvalence et d’agilité.
Nous sommes tous en attente de toujours plus de la part de l’infirmier-ière : le patient de plus d’attention, l’institution de plus de performance, le politique de plus d’économie, le manager de plus d’engagements et à contrario on leur accorde de moins en moins de temps pour mener à bien leur mission initiale : le prendre soin.
L’infirmier-ière est maintenant certes reconnu et écouté comme un vrai partenaire de soins, encore plus avec la gestion du Covid-19 qui a bousculé tous les protocoles.. Le soignant participe activement à l’évolution des pratiques et des techniques.
C’est est une bonne chose, mais c’est à double tranchant, car la pénurie de médecins (on le voit en France) met les infirmier-ières et les sages-femmes de plus en plus en première ligne. De toute évidence on les prépare pour qu’ils puissent suppléer ce manque. Mais est-ce une bonne chose ? La question mérite d’être posée.
Jérôme Poulet : La pandémie du Covid-19 a montré que malgré les progrès de la médecine, nous étions loin de prévoir l’arrivée d’une telle crise sanitaire. Cela a bousculé notre vision des soins et aujourd’hui on ne peut plus envisager l’avenir du système de santé et la profession d’infirmier-ières comme avant.
La profession a dû remettre en question beaucoup de protocoles de soins et bien que nos soignants soient formés à être polyvalents, leur expérience de terrain a été bousculée et ils ont bénéficié d’une formation accélérée de gestion de crise. Il y a la théorie que l’on apprend sur les bancs de l’école, puis il y a la pratique. Les équipes ont dû être proactives et plus présentes que jamais afin de s’adapter à cette nouvelle situation.
Cette crise et la collaboration public privé entre Hirslanden et les HUG qui s’est construite a permis à nos soignants de bénéficier de formation donnés par les HUG. Cela permet au profil de soins d’évoluer et de nouveaux profils soignants font leur apparition.
Notre vocation première continue à être de soigner les gens et montre bien que peu importe l’institution employeur, le patient demeure au cœur de nos préoccupations et cette vocation initiale perdure.
L’arrivée en 2024 d’un centre de chirurgie ambulatoire HUG - Hirslanden est un pas indéniable vers l’avenir et les soignants attendent cela avec impatience. C’est à mon sens dans cette direction que les soins infirmiers se tournent vers le futur, en intégrant les nouveautés d’un système de soins en pleine évolution.
Comment la profession participe à la transformation des soins dans la prise en charge des patients ?
Jérôme Poulet : Aujourd’hui être soignant dépasse les compétences que l’on pouvait imaginer il y a encore une dizaine d’années. De nouveau métier ont émergés tel que les ASSC (Assistante en soins et santé communautaire) qui font le lien entre les infirmier-ières et les aide-soignants-tes. Des aides-soignantes ont également été formées aux services hôteliers afin de répondre à certaines demandes des patients privés. C’est un métier en plein développement qui est encore amené à évoluer. Ces nouveaux profils participent à la transformation des soins et répondent à de nouvelles attentes.
L’infirmier-ière prend de plus en plus de place dans la collaboration médecin - patient. Les médecins étant très sollicités, elles se chargent de faire le lien et certaines discussions actuellement se posent sur la possibilité de les autoriser à prescrire certains soins. La charge et les compétences administratives évoluent également et la profession demande de plus en plus de connaissances, notamment en gestion, et une maitrise des outils informatiques.
Les mesures Covid-19 sont un bon exemple de modification de prise en charge avec les tests obligatoires à plusieurs étapes de l’hospitalisation, les protections sanitaires accentuées du personnel, des patients et du matériel. Tous ces protocoles ont dû être revus et les soignants ont participé activement à la mise en place de ces nouvelles mesures.
Pour finir, c’est dans ce changement et face aux difficultés que s’est révélée l’incroyable solidarité des soignants. Cela nous rappelle que notre cœur de métier est une vraie vocation d’utilité publique, même dans une institution privée et dont la profession en soi participe fondamentalement à l’évolution de la prise en charge des patients.
Marielle Baulet : Les soins évoluent, certes sous l’influence d’universitaires, de chercheurs en sciences humaines en intelligence artificielle, milieu de recherche ou les infirmier-ières ont leur place et c’est une fois encore une bonne chose.
Mais finalement au-delà de l’évolution normale des techniques de soin, si vous demandez à un soignant pourquoi il a choisi ce métier, pour la plupart, ce n’est pas pour ces raisons-là. Il rentre dans cette profession pour aider les personnes malades, pour se rendre utile, pour des valeurs humaines et humanistes qu’il espère trouver. Si vous demandez à un patient ce qui est le plus important pour lui : l’expertise de l’infirmier-ières ou sa gentillesse, sa disponibilité que va-t-il répondre ?
En fait, la question à se poser est quel type de soignants souhaitons-nous pour notre médecine du futur et quelle place les décideurs vont- ils faire à cette catégorie de professionnels dont nous n’avons jamais été aussi dépendants que pendant cette année 2020.
Marielle Baulet
Responsable des soins
Jérôme Poulet
Responsable des soins